-Comment désamorcer les drames émotionnels au Service Client ? Qu’est-ce que ça veut dire « gérer les émotions » pour un conseiller confronté à des dizaines de clients toute la journée ? Comment fait-on pour que les situations émotionnellement tendues se dénouent positivement pour le client et sans Prozac pour le conseiller ? easi a rencontré Eric Faure, la personne idéale pour faire le point sur ces questions : spécialiste de la modélisation des comportements et de l’écrit client, Eric développe, dans le cadre de CoRelations, des formations dédiées à la communication des conseillers clients.
On commence par une petite présentation de CoRelations et votre activité ?
Je suis co-responsable d’un cabinet de formation, CoRelations, qui travaille principalement dans le domaine de la Relation Client. Mon associée est une spécialiste du téléphone et, moi, je m’occupe de l’écrit. Il y a quelques années, l’écrit, c’était surtout pour les services marketing et les rédacteurs-concepteurs. Aujourd’hui, cela concerne de plus en plus le Service client, avec des médias/canaux qui ont beaucoup évolué en relativement peu de temps : de la lettre, on est passé à l’e-mail, qui recule à son tour devant le chat et les réseaux sociaux. En 2014, le chat représentait 10% de notre activité. En 2017, ce sera au moins 30 %. Je vois de plus en plus d’opérateurs monter un pilote Chat "pour voir". Ce sont souvent des services Téléphone qu’on transforme ou qu’on aménage en Téléphone + Chat. C’est la tendance et cela répond à un souci d’optimisation du temps et des effectifs.
Qui sont les conseillers que vous formez ?
Dans les métiers où j’interviens – banque, assurance et télécoms, pour l’essentiel – il faut considérer deux types de population. Vous avez des gens qui sont recrutés sur des intitulés de poste commercial/relation. En principe, de par leur formation initiale et par tempérament, c’est une population déjà orientée client, au moins sensibilisée et généralement formée à la gestion de la dimension émotionnelle de leur métier. Et puis, vous avez tous les personnels de culture technique qui ont été recrutés sur des compétences techniques. La difficulté avec eux est qu’ils confondent « bien travailler » et satisfaire un client. Ils pensent que, parce qu’ils ont bien fait leur travail, le client est content. Dans le monde du chat, ces collaborateurs accueillent la demande, bien sûr, mais une fois qu’ils ont saisi le problème, ils s’intéressent à sa résolution, et pas au client. Pour eux, la dimension relationnelle est secondaire. Leur faire comprendre la différence entre résoudre un problème et satisfaire un client, c’est déjà une matinée de formation.
Les aptitudes relationnelles et l’intelligence émotionnelle, c’est inné ?
Beaucoup de choses peuvent s’apprendre mais, de fait, nous ne sommes pas égaux dans ce domaine, tant vis-à-vis de nos propres émotions que vis-à-vis de celles des autres. Vous avez des personnes qui sont naturellement plus émotives que d’autres. Ces dernières, dans la gestion d’un client, distinguent « ce que je suis » de « ce que je fais » : ma personne est une chose, ma fonction en est une autre. Si je me fais insulter par un client, c’est ma fonction qui se fait insulter, pas ma personne. Les plus émotifs ont du mal à faire ce distinguo et encaissent. Ils ont vraiment besoin d’apprendre à gérer leurs émotions. Ils ont une empathie naturelle, une vraie sensibilité à l’autre et cette sensibilité s’exprime positivement quand le client est content, mais douloureusement face à quelqu’un d’insatisfait ou d’agressif.
Quelles sont les règles de base face à un client qui est dans de mauvaises dispositions ?
Avant de répondre sur les émotions « négatives » des clients, il faut quand même dire un mot sur les émotions « positives ». Quand un client appelle et dit « je suis fidèle depuis des années, j’adore votre marque » ou « je suis content », il faut tout de même que ce soit un réflexe pour le conseiller de le remercier. En réalité, c’est ce que le client attend, il veut entendre dire merci.
Pour les situations « négatives », la palette est plus étendue et il y a effectivement des choses à dire/ne pas dire ou écrire/ne pas écrire. L’insulte, notamment au téléphone, est par excellence la situation où la communication n’est pas possible. On ne raccroche pas au nez d’un client qui vous insulte, du moins pas sans lui avoir dit qu’on a bien entendu qu’il est en colère et lui avoir demandé fermement de changer de registre. Et surtout on le laisse « vider son sac », sans parler, partant du principe qu’on ne se bat pas avec un mur. Donc, pas de justification, juste de l’écoute « active ».
Dans toutes les autres situations tendues, à l’oral comme à l’écrit, l’empathie est le passage obligé. Le sésame est la phrase « je vous comprends ». Elle peut paraître banale, mais elle est incontournable. Elle ne signifie ni « vous avez raison » ni « je suis d’accord avec vous » mais elle acte la considération que vous avez pour le client. C’est la reconnaissance de sa douleur et même si cela ne résout rien sur le fond, on ne peut pas faire l’économie de cette reconnaissance.
Que dire quand le client a toutes les raisons d’être mécontent ?
Il faut « vendre » au client le mal qu’on se donne pour lui. La non corrélation entre « régler le problème » et « satisfaire le client » vient de la perception que le client a de l’importance qu’on lui accorde. Il ne faut donc pas hésiter à lui dire « je regarde », « je me renseigne », « je demande l’information à mon collègue » ou « c’est un peu complexe ». Les clients adorent qu’on leur dise que leur cas est complexe ! Par chat, on doit écrire tout cela, exactement comme on doit le dire au téléphone. Le client doit se rendre compte qu’on fait le nécessaire et qu’on le traite comme un cas unique. C’est ce que ne savent pas faire les chatbots. La différence entre un chatter et un chatbot, c’est que premier est capable de varier les scénarios, le vocabulaire et de s’adapter au client. Le chatbot y arrivera un jour, mais il faudra d’abord lui intégrer énormément de données.
Et quand on ne peut pas donner satisfaction au client ?
Dans ce cas, le plus délicat est la fin de communication ou de la session de chat. Il y a deux règles : on ne peut pas terminer par un NON et encore moins sur un imparfait. Par exemple, je travaille avec une société d’assistance habitation et auto. Quand un client appelle parce qu’il est en panne, la première question qu’on lui pose est « où êtes-vous ? » et on regarde s’il est à plus ou à moins de 50 km de chez lui. S’il n’a pas souscrit l’option zéro kilomètre et qu’il est à moins de 50 km, il va devoir payer l’assistance. Lui dire « mais il fallait souscrire l’option, monsieur ! », c’est la dernière chose qu’il a envie d’entendre à ce moment-là. En revanche, dire : « dès demain, appelez votre agence et souscrivez l’assistance zéro km. Cela vous coûtera x euros par an et vous n’aurez plus jamais ce problème » est un message positif. On passe en mode « futur » et le client entend d’autant mieux le message qu’il vient d’expérimenter ce que coûte le fait de ne pas avoir souscrit l’option en question.
Quelles sont les situations émotionnelles les plus compliquées à gérer ?
Spontanément, on pense au client en colère, mais le client découragé est beaucoup plus difficile à traiter, pour une raison simple que l’on connaît bien dans tous les couples : « tant qu’on s’engueule, c’est qu’il y a de la communication » ! Le client qui ne s’énerve même plus, qui dit « je n’en ai plus rien à faire… » est beaucoup plus difficile à récupérer. Alors qu’est-ce qu’on fait ? On lui dit « je suis là, maintenant. Je vais m’occuper de vous. ». C’est le premier niveau de message. Le deuxième niveau est « je fais le maximum pour vous aider », ce qui ne préjuge évidemment pas de l’issue. Le troisième niveau, plus difficile à manier, est la mise en valeur de l’existant : lui rappeler ses acquis dans l’entreprise et, donc, les raisons de rester malgré une forte insatisfaction actuelle. C’est délicat, mais les opérateurs télécoms le savent bien : sur tous les clients qui vont voir ailleurs, un certain nombre reviennent, parce que ce n’est pas mieux ailleurs finalement…
On dit qu’un client qui râle ou réclame est une chance…
C’est vrai ! Et dans toutes les situations allant de l’agacement au sentiment d’abandon, si l’on s’occupe bien du client, on a gros à gagner. Ce qui fait qu’on est fidèle à une marque, ce n’est pas que tout se passe bien. Quand tout se passe bien, on est content, mais si un jour on trouve une meilleure offre ailleurs, on y va. Non, ce qui rend fidèle, c’est quand il y a eu un problème, que la marque a failli et que quelqu’un a rattrapé le coup ou, au minimum, a fait tout ce qu’il pouvait pour cela. Le vrai client satisfait est celui qu’on sauve.
On lui dit « Mais madame, c’est complètement anormal ce qu’il vous arrive. Vous permettez que je regarde ? Je vais vous arranger ça… ». C’est là que nait la vraie satisfaction client. Elle ne part pas de zéro. Elle part de -10, -100, -1000, à condition bien sûr de pouvoir résoudre le problème. Si on ne le peut pas, il faut faire comprendre au client que c’est rare et qu’il s’agit d’un concours de circonstances particulier, ce qui au moins préserve la réputation de l’entreprise : « vous n’avez vraiment pas eu de chance, habituellement, le service technique vous propose telle possibilité. Dans votre cas, cela n’a pas été possible parce que…». Toujours penser que le client va devoir lui-même se justifier, auprès d’un manager ou de son conjoint. S’il a une explication, ce sera plus facile pour lui… Les études montrent que les clients les plus fidèles sont ceux qui ont été confrontés à un problème bien géré : ils savent qu’ils peuvent compter sur leur prestataire en cas de crise…
Et quand on tombe sur un client particulièrement exaspérant ?
Mais oui, il y en a, bien sûr ! Et quand c’est le dixième de la journée, c’est vraiment difficile à vivre. Je vais vous dire ce que font les conseillers très expérimentés. Dans ces cas-là, ils utilisent la méthode de la boucle. Elle consiste à répéter le même argument en gardant une intonation neutre : « c’est vrai et dans notre cas, ce n’est pas prévu dans votre contrat », « Je comprends, il se trouve que dans votre cas, ce n’est pas prévu dans votre contrat », etc. Et surtout, après, ils s’offrent une pause de 10 minutes, pour repartir avec un bon état d’esprit sur l’appel suivant ! En faisant cela quand la tension est trop forte, ils évacuent la pression et ils sauvent les 10 ou 15 clients suivants. Ce faisant, ils préservent aussi l’ambiance sur le plateau, parce que la tension est contagieuse.
Quel est rôle des managers dans la gestion du climat émotionnel ?
Dans un Service Client, il faut que l’ambiance reste fun et légère. Quand il y a des conflits entre personnes, ils doivent être gérés très vite et en dehors du plateau parce que ces conflits sont une pompe à énergie, or c’est sur le client que l’énergie doit être concentrée. Le manager qui ne désamorce pas ces conflits et ces tensions va à la catastrophe. Le manager a donc un rôle absolument déterminant, vital. Il suffit que votre agence bancaire change de directeur pour que vous voyiez aussitôt la différence au niveau des conseillers. Si le manager n’est pas orienté service client, cela va être difficile…. La Symétrie des attentions© – prêter la même attention à mes salariés et les traiter comme je leur demande de traiter les clients – est en passe de devenir une évidence.
Il faut que le manager ait une parfaite connaissance des contraintes de ses équipes et soit près d’elles physiquement : pas dans un bureau à part, mais au milieu ou à proximité immédiate. L’ambiance sur un plateau, c’est le cœur de son métier. Il faut des challenges, pas forcément « celui qui a fait le plus de x ou y », mais des challenges qualitatifs. Il faut que l’ambiance soit toujours ludique, qu’il y ait une dynamique. Sans cela, c’est dur, et les conseillers peuvent « exploser en vol ». Un plateau de Service Client est une mécanique de précision, le manager est l’horloger.
La bonne nouvelle est que, manager un Service Client, n’est plus perçu comme une voie de garage. Avant, « atterrir » au Service Client n’était pas une promotion, ce n’était vraiment pas valorisant. Dans la banque, on était au Service Client dans l’attente de prendre la direction d’une agence. Maintenant, c’est souvent une promotion et on voit des gens qui sont là parce qu’ils l’ont demandé. C’est une évolution très positive.